Le syndrome d’épuisement professionnel est défini par l’organisation mondiale de la santé comme « un sentiment de fatigue intense, de perte de contrôle et d’incapacité à aboutir à des résultats concrets au travail ». Il faut bien comprendre qu’il est la conséquence d’une organisation du travail pathogène.
Le syndrome d’épuisement professionnel n’est pas une nouvelle pathologie psychiatrique, recensée comme diagnostic dans la Classification internationale des maladies parmi les troubles mentaux et du comportement, mais un ensemble de signes cliniques évolutifs psychiques et physiques renvoyant à une dynamique délétère du rapport subjectif au travail, pouvant conduire, ou non, en tant que complications, à des décompensations pathologiques caractérisées, psychiatriques ou somatiques, voire à la mort par suicide ou accident vasculaire (karoshi).
- En France dans les années 1950, le psychiatre Claude VEIL décrivait déjà des « cas déconcertants qui n’entraient pas dans la nosographie classique » et soulignait que l’état d’épuisement constaté était le fruit de la rencontre d’un individu et d’une situation ».
- Outre-Atlantique, c’est Herbert FREUDENBERGER, qui, dans les années 1970 va élaborer le concept de burn-out. Il le définit comme un épuisement des ressources internes de l’individu et la diminution de son énergie, de sa vitalité, de sa capacité et de son plaisir à fonctionner, résultant d’un effort soutenu déployé pour atteindre un but irréalisable, le plus souvent en raison d’une situation de travail et plus particulièrement dans les professions d’aide.
- Parallèlement, Christine MASLACH, chercheur en psychologie sociale, décrit 3 dimensions qui serviront à la construction d’une échelle dévaluation, le Maslach burn out inventory (MBI) : l’épuisement émotionnel, la déshumanisation dans la relation à autrui et la perte du sentiment d’accomplissement personnel.
- Christophe DEJOURS, psychiatre et professeur de psychologie du travail au Conservatoire national des arts et métiers, situe le syndrome d’épuisement professionnel parmi les pathologies de surcharge et identifie l’engagement personnel comme le facteur de risque principal : « c’est dans l’implication et la conscience professionnelle, qui sont aussi des conditions de la performance et se révèlent particulièrement appréciées par les collègues et les supérieurs hiérarchiques, que réside la vulnérabilité ».
La prévention du syndrome d’épuisement professionnel
Il n’y a pas de prévention de l’épuisement professionnel dans une entreprise sans la recherche de prévention des risques professionnels spécifiques à l’activité de cette entreprise en général et des risques psychosociaux liés au travail en particulier.
Toutes les descriptions cliniques convergent vers l’idée que le burn out est le résultat d’une histoire vécue dans le travail. Il s’agit d’une rencontre entre, d’une part, un sujet porteur de ses caractéristiques psychiques propres constituant sa personnalité, porteur également de son histoire, de ses désirs et ses attentes et, d’autre part, d’une situation de travail dont l’organisation, pensée à priori par d’autres que lui, lui prescrit des tâches et des objectifs qu’il devra tenter de réaliser et d’atteindre avec les moyens qui lui sont alloués. Voilà pourquoi la recherche et la mise en place d’une prévention primaire de ces atteintes à la santé que constitue le syndrome d’épuisement professionnel demandent de s’intéresser à l’individu et à ce qui s’est passé dans son travail.
En cause, les nouvelles organisations du travail
Il faut avoir conscience que depuis le début des années 1990 et l’introduction des nouvelles méthodes de gestion et de management, tant dans le domaine privé que public, la prescription de travail demande aux salariés et aux agents un engagement total, physique et psychique dans le travail, un investissement de soi total dont les conséquences sur la santé sont dorénavant bien décrites tant sur le plan physique (pathologies d’hypersollicitation, de surcharge de travail, maladies cardiovasculaires…), que sur le plan psychique (conflits intra-psychiques liés aux injonctions paradoxales, souffrance éthique, burn out et décompensations sur le mode soit dépressif, soit hyperactif, voire paranoïde).
Toute personne « normalement » investie dans son travail, quel que soit son métier ou son secteur d’activité, au sein de certains types d’organisation du travail, est donc susceptible de voir altérer son rapport subjectif à son travail, c’est à dire voir remettre en cause la place que son travail tient dans sa construction psychique et identitaire.
Situations au travail pouvant faire le lit de l’épuisement professionnel :
- Intensification du travail avec un cumul de contraintes industrielles (normes de production, qualité) et marchandes (réponse immédiate à la demande, satisfaction des clients), même dans les métiers de service, le secteur du soin, aussi bien dans le secteur public que le secteur privé.
- Conflit éthique majeur ou répété, conflit de valeur ne trouvant pas d’issue.
- Sentiment d’impuissance (« il n’y a pas le choix »), d’inutilité (défaut de reconnaissance).
- Nouvelles techniques managériales « top-down » (uniquement descendantes, déniant la réalité) avec non prise en compte de la complexité des situations réelles de travail, des savoirs des opérateurs.
- Pilotage par l’aval (confrontation directe du salarié à la demande des clients, des usagers)
- Gestion contrainte de la complexité où le travailleur en surcharge doit lui-même arbitrer face à des injonctions paradoxales (quantité – rapidité – qualité – respect procédures – normes opposables – sécurité – satisfaction client – polyvalence – mobilité – tâches multiples [technique, administratif, relationnel] -interruptions de tâches – réduction des effectifs – gestion des coûts- exigences déontologiques – questions éthiques …) en s’épuisant à vouloir tout bien faire…
- Production en mode dégradé
- Impossibilité perçue ou constatée d’atteindre l’objectif assigné : idéal présenté comme la norme, « ligne d’arrivée » qui s’éloigne au fur et à mesure que l’on avance, générant frustration, démotivation, culpabilité avec un sentiment d’échec permanent ou répété sans moyens perceptibles pour modifier la situation, de perte d’espoir que la situation ne s’améliore.
- Ecart trop important entre le travail prescrit et le réel possible.
- Isolement dans son travail, coopérations avec ses pairs impossibles ou empêchées par surcharge de travail permanente.
- Fausse autonomie : moyens non négociables, contrôles et évaluations en permanence.
- Absence de reconnaissance ou fausse reconnaissance conduisant à se surpasser continuellement avec le sentiment de ne jamais en faire assez et de ne jamais être à la hauteur.
- Energie mobilisée par l’instant présent, impossibilité d’anticipation sur les conséquences de son travail ou sur les tâches à venir.
- Evaluation portant sur le seul travail individuel « mesurable », « rentable« .
- Impossibilité de dégager/valoriser le temps nécessaire à l’élaboration collective des situations de travail c’est à dire à la délibération portant sur les dimensions déontologiques et éthiques du travail, à l’émergence de nouvelles questions, à la construction de nouvelles compétences.
Des pathologies spécifiques bien décrites par les cliniciens de travail
Les pathologies liées au niveau de nouvelles formes d’organisation du travail, sont spécifiques et désormais essentiellement classifiées comme pathologies de surcharge et pathologies de la solitude.
Les pathologies de surcharge
Les pathologies de la solitude
- Il faut souligner la recrudescence des suicides sur le travail. Ces suicides dédicacés soulèvent la question du facteur travail dans leur étiologie.
- Le tableau de névrose traumatique est spécifique aux salariés en situation de harcèlement moral. Mais il ne saurait se justifier uniquement par l’impossibilité de répondre et de partir. L’absence de soutien du collectif de travail vient ajouter la mise au ban aux humiliations quotidiennes.
- La surcharge mentale peut déboucher également sur des états de confusion mentale, des bouffées délirantes. L’état de persécution, la paranoïa situationnelle peuvent apparaître et flamber dans un contexte professionnel pathogène.
Les pathologies de la solitude apparaissent lorsqu’au travail il n’existe plus de solidarité au quotidien, chacun étant plongé dans sa propre activité débordante ou mis en concurrence avec les autres membres de l’équipe ; ou lorsque, dans le milieu familial, on évite de parler du travail : l’intéressé « pour ne pas rapporter les problèmes de travail à la maison », et ses proches « pour ne pas en rajouter » face aux changements observés dans l’humeur et le comportement, par peur de provoquer un éclat ou un sentiment de culpabilité. Or, il faut être attentif aux signes du processus qui s’enclenche. Il faut oser dire pour alerter et oser écouter pour comprendre.
Un diagnostique trop souvent au dernier stade d’évolution
Le danger majeur de l’épuisement professionnel est lié à son diagnostic le plus souvent tardif ,au dernier stade d’évolution de cette dynamique délétère, celui des possibles complications psychiatriques ou somatiques, celui du risque suicidaire, de l’accident travail ou de trajet.
Il est essentiel d’intervenir très en amont de la phase d’état, c’est à dire avant l’installation de la triade pathognomonique qui associe l’épuisement professionnel, la déshumanisation de la relation à l’autre (encore appelée « dépersonnalisation ») et la perte du sentiment d’accomplissement personnel dans le travail.
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